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édition
du 25 avril 2000
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bi-mensuel
de l'internet
culturel
et politique
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3. Entrevue avec Florent Latrive 19clics: La première partie du livre est consacrée aux questions générales: l’ordre, la liberté sur l’internet. Elle présente des positions contradictoires. Pour commencer, quelle est l’influence réelle de Barlow, par exemple auprès des grands décideurs américains? Florent
Latrive: 19 clics: Son discours a-t-il une influence concrète? Florent
Latrive: Sa déclaration d’indépendance
du net a été largement relayée. Avec la montée
en puissance du commerce électronique aujourd’hui, tous ces libertariens
de la première heure ont maintenant un rôle moins important
que certains politiques ou industriels de la Silicon Valley. Mais Barlow
conserve une certaine influence, comme on l’a vu récemment dans
l’affaire etoys contre eToys. Il s’est mis résolument du côté
des artistes et la voix officielle sur l’internet a été
la sienne. C’est une voix autorisée. 19 clics: Quels sont les rapports Barlow-Barbrook? Florent Latrive: Ils se haïssent formellement. Barbrook dans son article «The Californian Idéology» décrit très bien ce mélange curieux et très américain d’utopie libertaire et de relation très forte au business, l’idéologie californienne. 19 clics: comment vous situez-vous entre ces deux courants? Florent Latrive: Ca dépend. Certains matins, je vais me réveiller plus proche de Barlow, et d’autres, plus près de Barbrook . On n’arrive pas à faire la synthèse; on a donc tenu à ce que les deux positions se répondent. La position de Barlow est très américaine: on ne peut pas imaginer ce genre de position en France pour plusieurs raisons, y compris historiques. Je me sens plus proche de Barbrook, ne serait-ce qu’en raison de ses références situationnistes. Les références de Barlow sont celles de Jefferson, de la constitution américain. 19 clics: La deuxième partie du livre est consacrée à la «nouvelle économie du savoir numérique», est elle–réaliste, et d’autre part est-elle «juste»? Les grands bénéficiaires ne seront-ils pas les gens des tuyaux, du hard et du commerce électronique? Florent
Latrive: L’internet était constitué,
au début, d’un réseau d’individus soucieux de mettre à
disposition le savoir de façon pratiquement libre. Cette logique
et celle des grandes entreprises qui investissent aujourd’hui le web
se mêlent très difficilement. 19 clics: Quelles sont les formes possibles de retour sur le réel? Florent
Latrive: La validité d’un tel
modèle? C’est l’une des questions majeures, on ne peut pas l’escamoter.la
question est celle de la balance entre l’intérêt général
de la diffusion de la connaissance et l’intérêt particulier
des auteurs. 19 clics: Et comment voyez vous ce système? Florent
Latrive: Je ne suis pas devin mais
il y a quelques pistes, comme l’équivalent juridique de la position
prise par Stallman avec le GPL. Actuellement, quand on met un texte
à disposition du public, ce qui s’applique par défaut,
c’est la législation du droit d’auteur; si on veut faire autrement,
il faut le signaler. Le GPL appliqué au texte permettrait que
la parole d’un individu ou d’un groupe soit relayée le plus possible
sans qu’elle soit privatisée. Il faut faire cohabiter une sphère
où les gens vivent de leurs créations intellectuelles
et une sphère où les idées se diffusent gratuitement.
Il faut qu’il y ait des lois de protections différentes.
19 clics: Dans le livre, vous ne prenez pas particulièrement partie pour un éventuel rééquilibrage… Florent Latrive: Non, mais c’est parce qu’on voudrait que le livre soit le point de départ de discussions. C’est pour cela qu’on a pris les textes de personnes qui ont des positions qu’on peut juger délirantes. Par exemple, Ram Samudrala, à propos de la musique, dit «la rémunération des auteurs, ce n’est pas le problème, on met en ligne gratuitement nos œuvres et on sera payé par la publicité, par la vente de teeshirts…». Imaginons que Balzac ait été obligé de vendre des teeshirts «I love Balzac», c’est délirant. On a voulu donner la parole à des gens comme ça pour qu’il y ait débat. 19 clics: N’y-a-t-il pas un risque que les auteurs qui mettent librement à disposition leur texte se fassent éventuellement manipuler ou qu’il y ait des exploitations commerciales qu’il désapprouvent? Florent
Latrive: C’est un problème intéressant.
Il y a des gens qui réfléchissent là dessus en
ce moment. Là se pose la question de l’intention de publication.
19
clics:
Vous pensez à quelles genres d’aides? Florent
Latrive: Des aides elles-mêmes
collectives. On peut imaginer un réseau de juristes spécialisés,
ou bien un site spécialisé avec des règles ou des
exemples qui permettent de guider quelqu’un qui voudrait mettre son
travail à disposition sans risque de se faire piller. Il ne faut
pas que les œuvres collectives bénévoles soient récupérées
par les fabricants de tuyau. Il faut qu’il y ait possibilité
de choix. Dans l’exemple du logiciel libre, le GPL est le verrou de
Linux qui interdit à toute personne de s’approprier complètement
le logiciel. En revanche, il n’est pas interdit d’en faire du commerce.
Encore une fois, c’est une attitude américaine; en France, on
n’en est pas là. D’autre part, la récupération
peut être faite par des entreprises qui ne vous plaisent pas.
Prenons l’exemple d’un texte sur la Shoah mis à disposition sur
l’internet. Il peut être commenté, augmenté, mais
comment réagir si ce texte se trouve sur un site révisionniste?
L’auteur ou les auteurs peuvent légitimement s’en émouvoir.
La différence
entre droit d’auteur et copyright brouille le débat plutôt
qu’elle ne l’éclaire. Cette différence n’est pas l’enjeu
principal aujourd’hui. L’enjeu principal, c’est la privatisation de
la connaissance. C’est, en résumé, de revenir à
la base de toutes les législations du monde entier sur la propriété
intellectuelle: quel équilibre les législations seraient-elles
censées respecter? 19clics: Quelle est l’étendue du mouvement du Libre en France? Florent
Latrive: Au départ il concernait
le logiciel libre, puis il s’est intéressé aux arts. Les
pionniers du web français réfléchissent sur le
libre (V. Lacambre, Iris, B. Lang, Arno de Scarabée).
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