10.L'infantilisme,
maladie conservatrice de la nouvelle économie.
Si
vous avez dû affronter une " fête " de Noël bien formatée (c'est à dire,
cette année : Pokhémon, Play Station 2, Harry Potter) alors, n'ouvrez
pas " la société de consolation " de Jeremie Lefebvre ; vous risquez d'attraper
le blues.
L'histoire d'Ubi-free, le " syndicat virtuel " monté par Jérémie Lefebvre
et quelques autres salariés d'Ubisoft, a été une success story de la société
de l'information en France. Oriane Garcia pour l'économique, Valentin
Lacambre pour le politique, il manquait une figure pour le social et Lefebvre
se fit connaître.
Succès ambigu. Avec ses poisons (le paternalisme manipulateur des patrons
d'Ubisoft) la nouvelle économie sécrétait ses contre poisons : " Alors
Sandrine se penche, écrase lentement sa cigarette et dit à mi-voix en
nous regardant : Internet ". Jeremie Lefebvre souligne d'ailleurs à quel
point les commentaires allaient rapidement tourner en boucle : " L'état
du personnel n'était pas un sujet intéressant, ce qui était intéressant
(pour les médias), c'était l'émergence d'une nouvelle façon d'emmerder
le monde ". Deux ans plus tard, la boucle fonctionne nettement moins bien
et ce sont des syndicats bien réels qui se mettent en place à Amazon.France
et dans les autres paradis de la nouvelle économie.
Mais " la société de consolation " propose bien plus qu'un récit de la
première lutte sociale de la société de l'information. Le livre porte
en sous-titre " Chronique d'une génération ensorcelée ". C'est une charge
contre l'infantilisme, la régression, l'esprit consensuel et soit disant
positif. Pour avoir le premier craché dans cette blédine là, il sera beaucoup
pardonné à Jeremie Lefebvre.
Envoutés et voutés , les cadres et salariés de " CM France " ont des mœurs
étranges. Ils organisent des soirées Haribo lorsqu'un marché est obtenu.
Ils s'échangent les génériques des dessins animés de leur enfance. Ils
sont les enfants de Nintendo et de Chantal Goya qui ne veulent pas connaître
d'autre monde que le pays joyeux des enfants heureux, des monstres gentils.
Ces champions de l'innovation sont des conservateurs à tout crin. Ces
hyperactifs sont sous tranquillisants.
Ce type d'infantilisme a diffusé largement dans le
monde de l'internet : nous n'avons pas besoin de lois ; nous voulons nos
propres lois ; nous voulons garder précieusement cette manière de faire
si positive et si tranquille. La société de l'information conçue sur le
modèle d'un cour de récréation, voilà ce que Lefebvre met à jour : la
création, pour " rire ", de cyber-partis politiques, la monnaie virtuelle
avec des haricots ou des patates, les business plan à la Boo.com.
En 1988, Guy Debord écrivait, dans les " Commentaires sur la société du
spectacle " : " Le changement qui a le plus d'importance, dans tout ce
qui s'est passé depuis vingt ans, réside dans la continuité même du spectacle.
Cette importance ne tient pas au perfectionnement de son instrumentation
médiatique, qui avait déjà auparavant atteint un stade de développement
très avancé : c'est tout simplement que la domination spectaculaire ait
pu élever une génération pliée à ses lois. " Le roman de Jérémie Lefebvre
est une chronique des " conditions extraordinairement neuves dans lesquelles
cette génération a effectivement vécu ".
Le livre est facile à lire, un peu dans la manière
de Houellebecq. L'auteur connaît les théories critiques modernistes, et
le cache assez bien. Il publie chez sens&tonka. Ca vous changera de Pierre
Lévy et Jean Marie Messier.
Francis Linart (francis.linart@caramail.com)
Source :
Jérémie Lefebvre," La société de
consolation", édition sens &tonka,2000, 105FF.
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