N°13
édition du 22 janvier 2001
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2.UMTS ou le trouble à haut débit.
19clics (parmi les premiers…) s'est interrogé sur la cession des licences de téléphonie mobile de troisième génération, les licences UMTS. Malheureusement, les événements qui ont marqué l'automne ont confirmé nos doutes, à tel point que l'on pourrait presque se demander à qui profite cette parfaite débandade...
Après l'euphorie, le doute sur le prix des licences...
Qu'on se rappelle seulement cette première phase euphorique : la mise aux enchères des licences UMTS en Grande Bretagne, puis en Allemagne (8 milliards d'Euros par licence). C'était le temps de l'optimisme, les valeurs boursières des entreprises technologiques et de la " nouvelle économie " étaient au plus haut.

C'est avec l'Italie que le scénario a commencé à changer. Le gouvernement italien attendait jusqu'à huit candidats pour les fréquences. Au départ, la plupart des grands opérateurs européens étaient présents à travers différentes alliances : Telecom Italia, le Britannique Vodafone, France Telecom, British Telecom et l'Espagnol Telefónica... Seul Deutsche TeleKom avait choisi de rester à l'écart du marché italien. Las, l'opérateur Blu se désistait après seulement trois jours d'enchères, ne laissant en compétition que cinq candidats, pour cinq licences...Mauvais pour le suspense. Chaque opérateur ne déboursera que 2,5 milliards d'Euros contre les cinq attendus.
Avec la Suisse, le scénario a tourné à la catastrophe. Après avoir été plusieurs fois reportée, la vente s'est tenue, mais les quatre licences ont été vendues pour la somme de leur mise à prix. : 135 millions d'Euros, 205 millions de Francs suisses, alors que la Suisse avait espéré en obtenir 8 milliards. Après, rien n'a plus été pareil. La Pologne a renoncé aux enchères et a attribué trois licences aux trois candidats qui s'étaient présentés, pour un prix unitaire de 650 millions d'Euros. La Suède a cédé ses licences UMTS gratuitement et décidé de privilégier la qualité des offres et la couverture du territoire. Elle suivait, en cela, la Finlande, premier pays a céder quasi gratuitement ses licences UMTS en 1999. L'Espagne lui avait emboîté le pas et le gouvernement espagnol s'était vu vertement critiqué pour n'avoir obtenu que 500 millions d'Euros.

Et la France ? On sait que la procédure retenue est celle du " concours de beauté " et que 4 licences UMTS seront cédées pour 4,95 milliards d'Euros pièce, un niveau certes très inférieur au record allemand mais deux fois plus élevé qu'en Italie. Le produit de cette vente ira au fonds de retraite. La voie est médiane, mais les licences restent chères.
Qu'est-ce qui est en jeu dans ces procédures d'attribution de licence ? D'abord, très naturellement, plus les licences sont chères, moins les obligations d'intérêt général imposées aux opérateurs sont fortes. C'est aussi parce que les fréquences audiovisuelles sont gratuites que l'état peut imposer des cahiers des charges aux chaînes de télévision. Ainsi, les trois pays représentant les marchés potentiels les plus étendus ont décidé de sacrifier l'intérêt du consommateur au profit immédiat. Les effets s'en feront lourdement sentir, non seulement sur les factures des abonnés mais aussi sur le développement du marché.
En effet, les doutes grandissent sur le rapport entre le coût du déploiement du réseau et la rentabilité des usages qui en sont attendus.
Alors que l'on a annoncé que la technologie UMTS permettrait le multimédia mobile à haut débit, les prévisions sont maintenant moins optimistes. UMTS, ce sera cher à déployer et il n'est pas certain que cela fonctionne aussi bien qu'on l'a dit. Dans le Financial Times, l'opérateur japonais NTT DoCoMo, numéro 1 mondial de l'internet mobile, a déclaré que le téléchargement de fichiers audio et vidéo pourrait s'avérer trop coûteux car ces fichiers demanderaient trop de bande passante. Ce coût devrait selon l'opérateur japonais limiter ce type d'utilisation à des clips d'une quinzaine de secondes. Le mobile garderait une fonction de vitrine, les téléchargements " lourds " étant réservés aux appareils fixes du foyer. Notons que NTT DoCoMo devrait proposer à partir de mai 2001 le premier réseau UMTS basé sur sa norme W-CDMA à ses clients japonais, et qu'il n'en attend pas de hausse importante de revenus.
Une expérience menée en Grande-Bretagne vient confirmer les propos de l'opérateur japonais. Un réseau UMTS expérimental a été installé à Cambridge selon les critères établis par certains opérateurs qui pensaient pouvoir se contenter du même nombre de relais que pour la téléphonie mobile GSM. Ce réseau a tout juste supporté le transport de la voix et de la navigation sur le Web, mais s'est effondré quand le courrier électronique et la transmission vidéo ont été ajoutés. Cette expérience a montré qu'il serait nécessaire de doubler le nombre de relais pour assurer les services attendus... Cela accroît très sensiblement les investissements prévus par les opérateurs.
Les plus hauts responsables du secteur des télécoms commencent à exprimer publiquement leurs doutes. Lors d'une conférence organisée à Londres, Henri Piganeau, vice-président de Vivendi Telecom International, a déclaré que l'idée selon laquelle la technologie UMTS encouragerait les consommateurs à dépenser plus relevait de l'utopie. Selon lui, les recettes par abonné resteraient au même niveau. " L'UMTS augmente la capacité technique du marché et nous savons d'expérience que quand la capacité augmente, les prix baissent ", a-t-il ajouté.

Selon Martin Varsavsky, PDG de l'opérateur espagnol Jazztel, les prix atteints lors des enchères britanniques et allemandes étaient stupides. " Nous avons réalisé que nous avions été idiots de payer plus pour de simples raisons de notoriété ", a-t-il déclaré. Il a estimé que la technologie GPRS (General Packet Radio Service), récemment inaugurée et qui permet de connecter en permanence les mobiles à l'internet, permettra de satisfaire la majeure partie de la demande et entrera en compétition directe avec l'UMTS. Spécialiste du secteur chez le fonds d'investissement américain Fidelity, David Baverez fait l'analyse suivante : " Les opérateurs vont investir 300 milliards d'Euros dans les licences et les infrastructures. En 2005, les revenus seraient entre 50 et 60 milliards. Si l'on veut être vraiment généreux, on peut imaginer 100 milliards. On aurait un Ebitda (résultat brut d'exploitation) de 30 milliards, soit un retour sur investissement de 10%. Ce n'est pas attractif ".
En résumé, les opérateurs vont devoir débourser plus que prévu pour déployer leur réseau, alors que plusieurs d'entre eux sont actuellement soupçonnés de ne plus posséder assez de fonds pour construire de nouveaux réseaux, et ce pour une demande qui reste hypothétique. Des opérateurs ratissés...
Pour être présents sur les principaux marchés, les opérateurs devront débourser des sommes colossales. Ainsi, Vodafone, leader du marché du GSM en Europe, pourrait être le seul présent à la fois sur les six premiers marchés d'Europe mais il devra pour cela verser près de 20 milliards d'Euros aux gouvernements européens. France Telecom, qui arrive en second rang dans la compétition, devra lui dépenser près de 15 milliards d'Euros.

Conclusion... À qui profite le crime ?
Il n'est pas certain que toute cette opération soit une bonne chose pour le marché des télécommunications ni pour la construction européenne. On sait que le vieux continent comptait rattraper son retard dans les technologies de l'information et de la communication grâce à l'avance prise dans la téléphonie mobile GSM. On sait aussi que cela avait été rendu possible grâce à l'adoption, très en amont, de la norme commune GSM. Le marché s'était développé plus rapidement qu'aux Etats-Unis. Remarquons en tout premier lieu que la méthode choisie ne rend pas les citoyens européens égaux face à cette technologie. Le prix payé par licence UMTS rapporté à un habitant varie de 12 à 630 Euros. C'est contraire à toute bonne politique d'aménagement du territoire et aux déclarations sur la lutte contre le fossé numérique.
Ensuite, si l'UMTS européen est si attractif qu'il justifie de si folles enchères, on peut se demander pourquoi les opérateurs américains n'ont quasiment pas été présents dans la compétition. On notera que les enchères américaines n'ouvriront qu'en septembre 2002, et qu'il n'y a plus guère que Vodafone qui aura les capacités financières nécessaires pour y participer. Comment ne pas s'étonner enfin que l'expérience britannique qui a conclu à la nécessité de doubler le nombre de relais ait été conduite par un conseiller technique du gouvernement britannique lors des enchères UMTS du printemps dernier, qui, sans doute à l'époque, a tenu de tout autres discours et s'était bien gardé d'exprimer ses doutes ?
Bref, si l'on avait voulu affaiblir durablement les opérateurs de téléphonie européens dans le jeu de la concurrence internationale, on ne s'y serait pas pris autrement. Cela ressemble trait pour trait à la technique du leurre. Elle est bien connue. La base en est la désinformation. Mais ne devenons pas paranos. La faute incombe peut-être seulement à la grande futilité des analystes et des consultants en tout genre...

Pierre Bastogne(pierre.bastogne@caramail.com)

Source:
Le tableau comparatif de l'UMTS en Europe : [http://www.idate.fr]

 



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