N°12
édition du 22 novembrev2000
bi-mensuel de l'internet
culturel et politique
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10.La Nouvelle économie des idées selon John Perry Barlow. 

Dans le magazine "Wired" du mois d'octobre 2000, John Perry Barlow, co fondateur de "l'Electronic Frontier Foundation", signe un long article sur la façon dont il imagine les évolutions et la mort du système de propriété intellectuelle dans le cyberespace.
Si l'on peut partager avec lui, sans grande difficulté, les termes de son constat, les conclusions - et les prophéties - qu'il en tire ne suscitent pas la même adhésion. Qu'on en juge.

Barlow interprète l'affaire "Napster" comme le facteur déclenchant de la guerre culturelle annoncée. Familier de comparaisons puisées aux sources de l'histoire des États-Unis, il compare les jeunes tribus d'échangeurs de musique, les "Napsteriens", aux premières colonies américaines, luttant pour secouer le joug d'une puissance coloniale devenue inefficace et incompétente à assurer leur développement économique et culturel. Et d'opposer de façon systématique et filée, les pauvres "Napsteriens" luttant pour la libre expression aux nantis roulant en Porsche des compagnies de disque.

Pour Barlow, l'affaire Napster montre comment "l'internet réel", réseau instantané au pouvoir distribué dépasse en puissance les détenteurs de "contenus". Il prédit la faillite de toutes les actions entreprises en faveur du cryptage. Il rappelle les luttes infructueuses de la Motion Pictures Association of America contre les magnétoscopes et les tentatives de commercialisation de logiciels protégés, il doute du presque mort-né "SDMI" et souligne l'impuissance des juges à arrêter, voire même freiner, la divulgation du programme permettant de "craquer" les DVD. Pour lui, l'économie des idées ne se fonde pas, au contraire de l'économie des biens, sur la rareté mais sur l'abondance. Gagne celui qui est le mieux et le plus diffusé. "Fame is Fortune", la célébrité rend riche. Pour Barlow, c'est certain, les usagers vont gagner cette révolution culturelle.

Mais, comme il le mentionne dans son article, il est très différent de gagner une bataille et d'en gérer les conséquences. Barlow sait bien qu'un des principaux arguments de ses détracteurs est que le système qu'il décrit ne permet pas la rémunération des créateurs et va donc assécher la création. Alors, sur la dépouille du copyright, il bâtit un nouveau système qu'il fonde sur quelques grands principes: la relation, le côté pratique, l'interactivité, le service et l'éthique.

Pour Barlow, l'art est un service, pas un produit. Créer de la beauté, c'est créer de la relation. Alors, il propose de revenir au système qui prévalait avant la propriété littéraire et artistique, le mécénat. Sans ignorer le caractère provocateur de cette proposition, il remarque que le CERN a été le mécène du Web, le DARPA, celui de l'internet et de Vint Cerf et qu'IBM a nourri en son sein la géométrie fractale à travers Mandelbrot.

Le côté pratique est son deuxième pilier. De la même façon qu'il est plus facile de louer une vidéo que de la copier. Il est plus rentable sur le long terme d'acheter un logiciel pour lequel on pourra avoir un service en ligne que de le pirater, surtout si l'on n'est pas expert en informatique. Il sera donc plus simple de rémunérer les artistes que de les voler. Barlow appelle de ses vœux une gigantesque entreprise d'industrialisation et de contractualisation de la création artistique.

Il y a ensuite l'interactivité. Plus je suis dans le monde réel, plus la relation est individualisée, plus elle est chère. Barlow est mieux payé, dit-il, comme consultant que comme écrivain.

Enfin, il y a l'éthique.
Il est bien évidemment plus facile de faire la critique de l'article de Barlow depuis que Bertelsmann a racheté Napster et l'on attend avec impatience comme Barlow va faire entrer cette nouvelle donnée dans son système. En effet, Barlow a raison quand il prédit la fin de la propriété. Il rejoint en cela Rifkin et ses théories sur l'accès. Mais rien ne dit que l'accès sera gratuit et ouvert. On peut suivre Barlow quand il dit que le piratage n'a pas affaiblit Microsoft, mais il l'a conduit à une fuite en avant pour acquérir une position dominante. Son système d'exploitation et ses principaux logiciels installés sur la grande majorité des ordinateurs vendus au monde, avant même l'achat de ces ordinateurs, peu lui importait qu'ils soient copiés.

Ainsi, on peut tout aussi bien conclure des constats de Barlow que, sans mécanisme équitable de rémunération et de protection de la propriété intellectuelle, sans régulation assurant la diversité et le pluralisme, régulation qui ne passe pas obligatoirement, certes, par les procès et le cryptage, nous allons assister à la plus formidable période de concentration de la consommation culturelle que nous aurons jamais connue.
Le cyberespace sauvage et libre qui hante les visions de Barlow pourrait bien devenir la simple juxtaposition de parcs à thèmes, d'univers clos où l'on pourrait copier ce que l'on veut puisqu'on serait enfermé.
Napster devenu ce parc à thèmes de Bertelsmann où les Napsteriens en réserve se font gentils animateurs du catalogue de BMG, on attend les initiatives de Vivendi Universal pour proposer d'autres thèmes, d'autres parcs, d'autres prisons...

Pierre Bastogne (pierre.bastogne@caramail.com)

 

 



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