N°12
édition du 22 novembre 2000
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4.La chute de Priceline: quand la nouvelle économie jouait avec les prix.

Pour qu'il y ait nouvelle économie, il faut qu'il y ait du numérique.
Au fond, il n'y a que deux formes d'économie numérique. Premier cas: le produit ou le service lui-même est directement numérisé. C'est le cas des textes, de la musique, de l'argent. Il ne reste plus qu'à vendre…. Voyez Napster. Mais une vache, un coiffeur, ou une cantatrice, comme nombre d'autres acteurs de l'économie réelle, continuent à manifester une sourde réticence à la numérisation directe.
Dans ce cas, la numérisation revient à traiter l'information liée à la marchandise. Les technologies de l'information peuvent être appliquées à la transaction (commande et paiement). C'est à cela que se réduit souvent le commerce électronique, type Amazon, qu'on ferait mieux d'appeler commerce direct assisté par le réseau.

Le numérique peut traiter aussi l'histoire du produit (la fameuse traçabilité), le profil du client en particulier (l'"individualisation"), ou en groupe (les "communautés"), et bien d'autres informations. Le principe est toujours le même: identifier une information rentable, peu exploitée dans le monde réel, et qui peut l'être, efficacement avec l'aide des technologies du numérique.

S'il y a une information décisive pour le commerce, c'est bien le prix. L'utilisation du réseau et du numérique pour jouer sur les prix est souvent présentée comme une des hypothèses naturelles de la nouvelle économie, au centre des plus fameux "business models" des années 98-99.

En gros, il s'agissait de donner un bon coup de fouet à la vieille pratique du marchandage, rebaptisée "dynamic pricing " ou "fixation dynamique des prix", et érigée au rang de valeur cardinale de la nouvelle économie.
Un prix, ça se discute, et dans tous les sens. Ebay (ou ibazar en France) ont repris la notion d'enchères. Mais c'est Priceline.com qui a proposé le business model le plus innovant, aujourd'hui en voie d'effondrement: le "name-your-own-price", ou contre-enchère.

Jay Walker, le fondateur de Priceline, débuta avec les billets d'avion. Le consommateur annonce le prix qu'il est prêt à payer pour un voyage; le distributeur qui percevra le prix "normal", avant rabais, accepte de transmettre l'offre au transporteur; celui-ci prend en charge le rabais et même un peu plus pour financer Priceline. Évidemment, l'opération est plus simple quand le consommateur affiche un prix supérieur au prix normal du distributeur. En cas de rabais, le transporteur était sensé compenser son manque à gagner par la publicité, la possibilité de gagner une nouvelle clientèle, et dans le cas des billets, l'assurance d'une occupation maximale des places.

Walker a été présenté aux États-Unis comme un visionnaire, un nouveau Edison.
Il se définit lui-même comme un "serial entrepreneur". Il créa Priceline, sa 13ème entreprise, en 1997, et la fit entrer en bourse en 99. En 2000, il décide d'élargir ses activités à l'épicerie et à l'essence autour du Priceline Web House Club. L'échec de cet élargissement signe la faillite du business model. Le Web House fut fermé.
La cote de Priceline, considéré maintenant par les boursiers comme un simple agent de voyage sur l'internet, est aujourd'hui (1/11/2000) à 6.69 dollars après être montée jusqu'à 85 dollars. Au delà des erreurs de management, le patron de PepsiCola, que Walker avait voulu embarquer dans l'aventure du Web House, a donné son point de vue sur l'innovation du dynamic pricing: " pour nous, producteurs, Priceline revient purement et simplement à un rabais permanent".

Mais un spécialiste du commerce électronique, Michael Mappa, a fait remarquer que le modèle de Priceline devenait efficace quand le prix mentionné par le consommateur était substantiellement plus haut que celui consenti par le transporteur. (Là, on comprend mieux). Et Mappa ajoute "en fait, l'information est l'ennemie numéro un du modèle de Priceline". C'est sur l'ignorance des prix par les consommateurs que reposait le modèle, ignorance difficile à maintenir sur le net. D'ailleurs des consommateurs de Priceline s'étaient regroupés pour créer un contre-site d'information!

Une mésaventure assez similaire vient de se produire avec Amazon.com qui s'amusait à vendre à des prix différents les mêmes produits pour tester les réactions de ses consommateurs au dynamic pricing. L'histoire de Priceline éclaire bien le caractère hautement parasitaire de certains "business-models".

C'est très logiquement qu'on a pu retrouver Walker dans le camp des maniaques de la brevetabilité, et notamment du brevet d'idées: il avait voulu empêcher Microsoft de reprendre l'idée du dynamic pricing pour son site hôtelier.
Loin d'être innovantes, ces stratégies, opposées au modèle d'ouverture du net, sont autant de freins au développement de la nouvelle économie.

Edgar Lulle (edgar.lulle@caramail.com)

Sources:
Wall Street Journal des 16 et 18 Octobre.
Articles de Thomas E Weber, de Julia Angwin et Nick Wingfield.



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