N°11
édition du 17 octobre 2000
bi-mensuel de l'internet
culturel et politique
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2.Les négationnistes sur le net : au delà de l'affaire Yahoo.

L'affaire Yahoo, et la campagne de boycott lancée par le Nouvel Observateur, ont relancé la question de la présence des néo-nazis et des négationnistes sur le net. C'est un sujet- comme le montre le forum du Nouvel Observateur- qui irrite beaucoup d'internautes: le topos des "contenus illicites" et l'appel à la répression ou à la régulation trouvent ici une justification politiquement correcte qui camoufle mal une volonté d'officialiser, ou d'institutionnaliser le net, au seul profit des puissances dominantes en matière d'expression.Dans un article récent sur Minirézo, Mona Chollet dénonce ainsi la fixation "Internet = nazis".
Mais cela n'empêche pas de se demander ce qu'il en est réellement de la présence et de la stratégie des négationnistes sur le net. Après nos premières analyses de l'affaire Yahoo, nous avons essayé de réunir un dossier sur cette question. Les informations que nous avons rassemblées, sur le web ou ailleurs, sont accessibles à tous et facilement vérifiables.

PARCOURS AU SEIN DU NEGATIONNISME BRANCHE

Une première constatation d'évidence: il faut trois minutes à quelqu'un qui connaît le sujet, et une dizaine de minutes à un internaute moyennement informé, pour dénicher et consulter les sites ouvertement racistes, néo-nazis ou négationnistes. Les hébergeurs français effectuent une certaine surveillance, bien que aaargh, le principal site français, probablement géré par Serge Thion, dispose,sur Voilà, d'une page renvoi. Mais les moteurs de recherche, dans toutes les langues permettent d'identifier les principaux sites, notamment ceux d'entre eux qui fonctionnent comme des portails. C'est ainsi qu'Alta Vista signale en neuvième réponse Codooh, une des principales entrées américaines sur le négationnisme international.
Deuxième constatation: ils y sont tous. Les propagateurs les plus connus disposent tous de sites copieux: Faurisson, Fisher, Zundel, Walendy ou Butz. Les organisations négationnistes sont, elles aussi, bien représentées, comme l'Institute for Historical Review, aux États-Unis, ou le VHO allemand. Certains ont saisi l'occasion de créer de nouveaux médias négationnistes ou fascistes, comme Codoh, ou Radio-Islam, avec son site abbc.
Les négationnistes savent parfaitement tirer parti du net, non seulement pour compenser leurs difficultés sur les médias classiques, mais pour adopter une politique de communication assez achevée.
Toute la propagande de base est numérisée et mise en ligne. Les archives sont complétées par des agendas des principales rencontres et des chroniques comme celle de Thion, ou le bulletin quotidien Z-grams, publié par la webmestre de Zündel. Il n'était pas difficile de repérer sur certains forums commerciaux et sur le site même de l'Union des Etudiants Juifs de France, à propos de Yahoo, des interventions typiques des manipulations d'extrême droite. Aaarg donne d'ailleurs des conseils pour infiltrer les listes, en particulier H-Holocaust de l'Université du Michigan.
Les États-Unis font table d'hôte pour les négationnistes. Le Net confirme parfaitement ce que Pierre Vidal Naquet écrivait en 1985: "A examiner un ensemble de ces documents dans les rayons d'une bibliothèque, à constater la multiplicité des traductions d'un seul et même texte, à lire ces multiples références savantes à des journaux ou à des livres obscurs, on a le sentiment d'une seule et vaste entreprise internationale.
Conclusion excessive, peut être, encore qu'il existe indiscutablement, en Californie, le centre d'une Internationale révisionniste qui accueille et redistribue toute cette littérature. Il n'y a rien là de surprenant; c'est simplement une conséquence de la planétarisation de l'information et de la position dominante qu'occupent les Etats-Unis dans le marché mondial."
Avec l'internet, la Californie et les États-Unis sont plus que jamais le centre de l'Internationale révisionniste. Le net a permis à l'Institute for Historical Review, auquel Vidal Naquet fait allusion, de rebondir. Il facilite l'ouverture de portails comme Codoh, "Committee for open debate on the holocaust" dont l'animateur californien, Bradley Smith, harcèle les universités américaines autour d'un programme "universités et révisionnisme".
Gérald Pancaer, de l'Université de Lyon 1, donne, dans "L'internationale négationniste sur le net", une série d'indications sur le contexte très favorable dont le négationnisme bénéficie aux États-Unis, en particulier sur les soutiens des Universités ou serveurs universitaires. Car l'Internet n'est pas seulement l'occasion pour les négationnistes de poursuivre leur activité par d'autres moyens plus modernes. C'est aussi, pour eux, la possibilité de réajuster leur stratégie.

STRATEGIE DES NEGATIONNISTES SUR LE NET
En résumé, ces réajustements peuvent être présentés de la manière suivante: les négationnistes ne se contentent pas d'utiliser les ressources du net comme instrument médiatique; ils se sont trouvé de nouvelles alliances, et une forme de légitimation, au sein du monde américain de l'internet.
Un premier exemple de ces nouvelles alliances est le pacte entre le négationnisme et le courant du "skepticism". Ce scepticisme a peu à voir avec Pyrrhon et ses adeptes. Le sceptique américain se voudrait un dénonciateur du mensonge officiel.
C'est souvent un paranoïaque convaincu de vivre dans un monde où toutes les informations sont des constructions et des manipulations fomentées par l'état. Les sujets favoris du skepticism sont les OVNIS, le triangle des Bermudes, l'origine cachée des maladies et des crashs aériens. Il y a des sceptiques X-files et des sceptiques ultra-matérialistes, des sceptiques créationnistes et des darwiniens. Ce courant, presque exclusivement américain sous cette forme extrême, est très répandu sur le web, où il s'exprime à travers d'innombrables pages personnelles, dont beaucoup sont franchement allumées. Il fait bon ménage avec le négationnisme qu'il traite comme une sorte de département spécialisé: c'est Faurisson chez Lucullus.
Mais la principale alliance est celle que le négationnisme a scellée avec le courant libertarien sur le net. D'une certaine manière, les négationnistes tentent de refaire ici, en plus grand, ce qu'ils ont déjà obtenu avec Chomsky: un soutien non pas sur le fond mais sur leur droit à s'exprimer. La différence tient à ce que, dans la première période, les négationnistes se contentaient de prétendre "défendre leurs droits"; ici, ils tentent de se mettre au premier rang des défenseurs des libertés sur l'internet. Ils font campagne pour le respect du premier amendement américain, ou l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Fréquemment leurs sites arborent le ruban bleu de la liberté d'expression sur le net. Un site outrancièrement raciste, s'intitule FAEM (Machine à exercer le premier amendement). Codoh donne dans une longue rubrique les adresses des sites de "libre expression". Bradley Smith se présente d'ailleurs lui même comme un libertarien, et débat longuement avec un comparse sur "libertarisme et révisionnisme".
Du côté des français, le ton était donné, dès 1996, avec l'article du "temps irréparable", "le gouvernement français instaure la censure sur l'internet". Il s'agissait alors de critiquer la loi Fillon. Mais aujourd'hui, aaargh fait campagne contre l'amendement Bloche.

ALLIANCES CONTRE NATURE?
Peut-on pour autant dire, comme Gerald Pancaer, que le "web illustre également les alliances "contre-nature" et les passerelles entre ultras "rouges" et "bruns"?
C'est aller un peu vite en besogne, pour au moins trois raisons.

1/ Pour l'essentiel, ce n'est pas aux libertaires, mais aux "libertariens" que les négationnistes tendent la main. S'il y a des libertariens de gauche, "progressistes", le libertarisme est plutôt un courant de la nouvelle droite, qui s'est signalé par son engagement derrière la présidence Reagan.

2/ A la différence des alliances précédentes, celle ci ne porte pas sur le fond, mais sur la liberté d'expression. On ne peut pas confondre, sans amalgame, l'opposition à toute législation limitant l'expression publique - comme la loi Gayssot- et le ralliement explicite aux thèses des "Eichmann de papier".

3/ On ne trouve aucun élément sérieux permettant de prouver que certains courants libertaires sur le net répondraient favorablement aux appels du pied des négationnistes. Il faut dire que ces appels sont grossiers: Bradley Smith mêle sa propre image à celle de Georges Orwell. Aaargh publie l'intégrale des communiqués de Myriam Marzouki, animatrice de l'Iris (Internet solidaire). Mais c'est à sens unique. Les sites libertaires américains, par exemple, ne renvoient pas sur les sites négationnistes de campagne contre la censure.

Si on veut parler d'alliances contre nature, il faut rendre compte d'un phénomène plus large: comment le négationnisme qui méprisait si ouvertement la démocratie s'est-il reconverti en avocat des droits de l'homme et des libertés publiques, et avec quels succès?

SUCCES DES NEGATIONNISTES

En effet, grâce à leur présence sur le net, les négationnistes ont engrangé quelques succès incontestables. Le principal, c'est qu'ayant réussi à s'approprier le thème de la liberté d'expression sur le net, ils ont ainsi reconquis le terrain perdu avec les formes classiques de communication.
Cette situation crée un trouble évident dans le monde de l'internet. De nombreuses universités américaines ont accepté d'héberger les sites révisionnistes. Dans certains cas, elles adoptent la posture de l'hébergeur irresponsable, simple prestataire technique. C'est le cas du serveur de la North Western University, qui héberge Butz. Mais, dans bien des cas, les sites universitaires américains vont plus loin, jusqu'à reconnaître la qualité scientifique des négationnistes (textes de Thion sur le Cambodge hébergés par les universités de Berkeley et Princeton) ou l'origine "universitaire" de la communication (le Student Revisionnist Ressource Site hébergé par l'université de l'Etat de Washington). Certaines universités ont organisé des débats avec Bradley Smith du Codoh (Maryland et Chicago).
Des organismes non suspects de compromission avec le négationnisme concourent pourtant à sa banalisation. C'est ainsi que l'annuaire demoz.org les regroupe avec les autres formes de scepticisme: c'est exactement la dénomination reprise chez Zundel ("holocaust scepticism"). Le comble, c'est que demoz.org présente aussi sous cette rubrique les interventions des adversaires du négationnisme.
Contrairement au rideau de fumée qu'elle a rapidement suscité, l'affaire Yahoo n'est pas d'abord une illustration de la responsabilité - ou non- des prestataires techniques dont on nous rabat les oreilles. Elle rappelle qu'aux États-Unis, un courant important n'hésite pas à se compromettre avec les négationnistes, ou les néo-nazis. Ce courant ne pose pas seulement que la constitution américaine autoriserait l'expression des négationnistes. Il les aide, les héberge, les encourage à s'exprimer, organise le débat avec eux, leur assure une reconnaissance officielle, en tire un profit commercial.
Cette situation est purement et simplement le résultat de la stratégie d'alliance libertarisme-négationnisme.

Dans un prochain article, nous comparerons les conceptions européennes et américaines de la liberté d'expression sur le net, et les différentes propositions pour contrer le négationnisme.

Francis Linart (francis.linart@caramail.com)

Clics officiels:
[http://www.codoh.com] un portail négationniste et libertarien, qui coopère avec les allemands de vho.
[http://www.abbc.com] radio-islam, raciste, adopté par les négationnistes français dont aaarg.

Sources:
[http://www.amnistia.net] pour trouver le texte de Gerald Pancaer, "L'internationale négationniste sur le net", initialement publié aux Editions Syllepse.
[http://www.minirezo.net/article49.html] pour trouver l'article de Mona Chollet "Internet=nazis, genèse d'un abcès de fixation", 06/08/0
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A lire :
Pierre Vidal-Naquet "Les assassins de la mémoire", La Découverte, 1991, notamment "Thèses sur le révisionnisme" de 1985, sur les Etats-Unis.

 



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