2.
L'"amendement
Bloche" a donc été adopté définitivement
par l'Assemblée Nationale, le 16 juin, en troisième lecture,
et dans une version assez différente de la première mouture.
Voici nos commentaires:
A. Dans la loi
sur la communication audiovisuelle, ou dans la loi "société
de l'information"?
Dans les semaines récentes, des associations opposées
à l'amendement demandaient qu'il soit retiré de la loi
de communication audiovisuelle et reporté à la loi "société
de l'information", préparée par C.Pierret,
secrétaire d'Etat à l'Industrie.
A part gagner du temps, on comprend mal le sens de cette proposition.
Les sujets traités par l'amendement: responsabilité,
identification, anonymat, portent d'abord, et manifestement, sur la
liberté d'expression. Ils engagent le fonctionnement de l'internet
comme espace public et organisent les droits des internautes par rapport
à cette nouvelle liberté d'expression. Ils doivent donc
être traités à l'occasion d'une discussion sur
la communication publique, et non pas dans le cadre d'une loi centrée
sur les aspects économiques de la "société
de l'information", et conditionnée nécessairement
par les intérêts des opérateurs économiques.
Evidemment, la "communication audiovisuelle" appliquée
aux services internet est une pure fiction juridique. Mais tant que
cette fiction est conservée, le fait de bien marquer les différences
entre la communication sur l'internet et toutes les autres formes
de communication publique est nécessairement positif. Nous
considérons donc comme positive la création d'une notion
de "services de communication en ligne autres que de correspondance
privée".
B.
Un point positif: le droit à l'anonymat pour les internautes
(art 43-6-4.II).
L'aspect le plus positif de la nouvelle législation est la
reconnaissance du droit à l'anonymat sur l'internet, c'est
à dire la possibilité de ne pas indiquer son identité
sur le site. Les internautes individuels bénéficient
de ce droit qui, au plan légal, n'existera que pour l'internet.
Cette disposition est capitale parce qu'elle reconnaît que l'internet
fournit un moyen d'expression à des groupes ou des individus
qui n'en ont pas d'autres. Les salariés d'une entreprise, les
habitants d'une commune, les agents de l'Etat, les consommateurs,
les usagers des services publics pourront s'exprimer sans être
limités par des pressions en retour sur l'emploi, le salaire,
le logement ou la réputation. Inévitablement, cette
nouvelle possibilité conduira à remettre en question
de nombreuses limitations légales ou pratiques de la liberté
d'expression. L'anonymat est une condition sine qua non de cette extension
de l'expression directe.
Cette disposition est confortée par l'obligation faite aux
hébergeurs de garantir la confidentialité de l'identité
des auteurs des sites, sauf en cas de procédure judiciaire
(art.43-6-3.3ème §). Il s'agit là réellement
d'une avancée, puisqu'aujourd'hui certains hébergeurs
n'hésitent pas à traiter directement avec les plaignants,
en leur communiquant les identités des auteurs, parfois même
à l'insu de ces derniers.
C.L'obligation d'identification:
discutable (art.43-6-3).
La disposition sur l'identification est plus discutable et plus discutée.
Tous les sites doivent s'identifier auprès de l'hébergeur.
On a retrouvé sur cette disposition le clivage français
habituel entre républicains et libéraux. Les "libéraux"
étaient partisans du système actuel d'identification
"contractuelle", entre hébergés et
hébergeurs, qui donne à l'hébergeur tous les
pouvoirs pour organiser l'identification, mais laisse à l'hébergé
le choix d'être honnête ou non dans son identification.
Les "républicains" voulaient une obligation
légale d'identification, gérée par l'Etat (c'est
en théorie le système actuel, depuis le Minitel) ou
déléguée à l'hébergeur, ce qui
selon eux devait permettre à la fois d'identifier les vrais
responsables et d'encadrer légalement l'identification. Le
maintien, même adapté, du système du minitel aurait
été une décision aberrante sur un plan pratique,
mais aussi un très mauvais signe pour les libertés.
C'est la deuxième méthode qui a été retenue.
L'internet sera donc le premier média rompant avec cette tradition
bureaucratique d'autorisation, de déclaration, ou d'enregistrement
par l'administration.
En dernière lecture, les peines prévues en cas d'irrespect
de cette identification ont été supprimées. Et
l'hébergeur n'a pas à contrôler l'identification.
On peut donc penser que le non respect de l'identification sera surtout
utilisé par les juges, en cas d'infraction sur les contenus,
comme facteur aggravant.
Le fait d'imposer l'identification par la loi reste néanmoins
discutable.
D.
Les prestataires techniques, principaux bénéficiaires
de la loi (Art 43-6-2)
Les prestataires techniques, hébergeurs et fournisseurs d'accès,
sont les principaux bénéficiaires de la nouvelle législation.
Certes, ils préféraient la première version de
l'amendement qui les exonérait de toute responsabilité,
tout en leur permettant de faire leur propre police sans base légale.
Mais le résultat final leur est très favorable. Les
fournisseurs d'accès sont dégagés de toute responsabilité.
Les tentatives des Sociétés d'auteurs de leur imposer
une responsabilité sur les dispositifs de protection des droits,
inspirées par la législation américaine, ont
été repoussées par le gouvernement et les députés,
malgré un bon accueil des sénateurs. Quant aux hébergeurs,
ils sont irresponsables a priori, et tenus seulement d'avoir une réaction
adaptée ("procéder aux diligences appropriées"
dans le jargon juridique) s'ils sont saisis par une personne concernée.
Autrement dit, la loi se rapproche de très près de leurs
pratiques; et elle conforte les jugements récents qui avaient
relaxé Multimania, qui avait pris des "diligences normales",
et condamné Yahoo, qui s'y refusait.
D'autre part, la loi, en écartant la surveillance a priori,
prive de toute base légale les opérations de contrôle
des sites menées par certains hébergeurs.
Conclusion:
Liberté des internautes ou sécurité des opérateurs
?
La discussion sur l'amendement Bloche a été passablement
confuse. Et l'essentiel de cette confusion, c'est qu'on a mélangé
à tout propos les revendications des opérateurs techniques
et les droits des internautes.
Or les opérateurs veulent plus de sécurité; ils
ne veulent pas être tenus responsables des contenus. Mais les
internautes veulent plus de liberté. Ils veulent voir reconnaître
sur le plan légal les libertés qu'ils ont acquises sur
l'internet, comme l'expression libre et l'anonymat. Ils ne veulent pas,
a contrario, se voir imposer les contraintes propres aux autres médias,
comme la déclaration préalable, ni voir leurs droits rognés
à cause des "risques du numérique", comme
ce pourrait être le cas pour la copie privée.
Valentin Lacambre, animateur d'altern, notre hébergeur, considère,
d'après Florent Latrive, que les mesures provoqueront "un
coup de Karcher sur l'Internet français: les gros pourront résister
aux procédures juridiques, mais pas les petits indépendants".
Cette remarque était très justifiée pour une obligation
de surveillance a priori, qui non seulement aurait coûté
cher aux hébergeurs, mais aurait surtout légalisé
une police des hébergeurs sur le dos des internautes. Elle ne
l'est plus avec une loi qui n'impose à l'hébergeur de
réagir que s'il est au préalable informé. Il existe
encore un risque que certains saisissent de manière abusive les
hébergeurs, pour obtenir une censure, ou les menacer en cas de
poursuite judiciaire. Mais les hébergeurs, dans l'ensemble, sont
mieux protégés avec la loi.
Francis Linart (francis.linart@caramail.com)
Sources:
[http://www.liberation.fr]
article de Florent Latrive du 19/06/2000
Clics
officiels:
[http://www.assemblee-nationale.fr/2/2textes-a.html]
[http://www.patrickbloche.org/]
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