N°11
édition du 17 octobre 2000
bi-mensuel de l'internet
culturel et politique
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2.

L'"amendement Bloche" a donc été adopté définitivement par l'Assemblée Nationale, le 16 juin, en troisième lecture, et dans une version assez différente de la première mouture.
Voici nos commentaires:


A. Dans la loi sur la communication audiovisuelle, ou dans la loi "société de l'information"?
Dans les semaines récentes, des associations opposées à l'amendement demandaient qu'il soit retiré de la loi de communication audiovisuelle et reporté à la loi "société de l'information", préparée par C.Pierret, secrétaire d'Etat à l'Industrie.
A part gagner du temps, on comprend mal le sens de cette proposition. Les sujets traités par l'amendement: responsabilité, identification, anonymat, portent d'abord, et manifestement, sur la liberté d'expression. Ils engagent le fonctionnement de l'internet comme espace public et organisent les droits des internautes par rapport à cette nouvelle liberté d'expression. Ils doivent donc être traités à l'occasion d'une discussion sur la communication publique, et non pas dans le cadre d'une loi centrée sur les aspects économiques de la "société de l'information", et conditionnée nécessairement par les intérêts des opérateurs économiques. Evidemment, la "communication audiovisuelle" appliquée aux services internet est une pure fiction juridique. Mais tant que cette fiction est conservée, le fait de bien marquer les différences entre la communication sur l'internet et toutes les autres formes de communication publique est nécessairement positif. Nous considérons donc comme positive la création d'une notion de "services de communication en ligne autres que de correspondance privée".

B. Un point positif: le droit à l'anonymat pour les internautes (art 43-6-4.II).
L'aspect le plus positif de la nouvelle législation est la reconnaissance du droit à l'anonymat sur l'internet, c'est à dire la possibilité de ne pas indiquer son identité sur le site. Les internautes individuels bénéficient de ce droit qui, au plan légal, n'existera que pour l'internet.
Cette disposition est capitale parce qu'elle reconnaît que l'internet fournit un moyen d'expression à des groupes ou des individus qui n'en ont pas d'autres. Les salariés d'une entreprise, les habitants d'une commune, les agents de l'Etat, les consommateurs, les usagers des services publics pourront s'exprimer sans être limités par des pressions en retour sur l'emploi, le salaire, le logement ou la réputation. Inévitablement, cette nouvelle possibilité conduira à remettre en question de nombreuses limitations légales ou pratiques de la liberté d'expression. L'anonymat est une condition sine qua non de cette extension de l'expression directe.
Cette disposition est confortée par l'obligation faite aux hébergeurs de garantir la confidentialité de l'identité des auteurs des sites, sauf en cas de procédure judiciaire (art.43-6-3.3ème §). Il s'agit là réellement d'une avancée, puisqu'aujourd'hui certains hébergeurs n'hésitent pas à traiter directement avec les plaignants, en leur communiquant les identités des auteurs, parfois même à l'insu de ces derniers.


C.L'obligation d'identification: discutable (art.43-6-3).

La disposition sur l'identification est plus discutable et plus discutée. Tous les sites doivent s'identifier auprès de l'hébergeur.
On a retrouvé sur cette disposition le clivage français habituel entre républicains et libéraux. Les "libéraux" étaient partisans du système actuel d'identification "contractuelle", entre hébergés et hébergeurs, qui donne à l'hébergeur tous les pouvoirs pour organiser l'identification, mais laisse à l'hébergé le choix d'être honnête ou non dans son identification. Les "républicains" voulaient une obligation légale d'identification, gérée par l'Etat (c'est en théorie le système actuel, depuis le Minitel) ou déléguée à l'hébergeur, ce qui selon eux devait permettre à la fois d'identifier les vrais responsables et d'encadrer légalement l'identification. Le maintien, même adapté, du système du minitel aurait été une décision aberrante sur un plan pratique, mais aussi un très mauvais signe pour les libertés. C'est la deuxième méthode qui a été retenue. L'internet sera donc le premier média rompant avec cette tradition bureaucratique d'autorisation, de déclaration, ou d'enregistrement par l'administration.
En dernière lecture, les peines prévues en cas d'irrespect de cette identification ont été supprimées. Et l'hébergeur n'a pas à contrôler l'identification. On peut donc penser que le non respect de l'identification sera surtout utilisé par les juges, en cas d'infraction sur les contenus, comme facteur aggravant.
Le fait d'imposer l'identification par la loi reste néanmoins discutable.

D. Les prestataires techniques, principaux bénéficiaires de la loi (Art 43-6-2)
Les prestataires techniques, hébergeurs et fournisseurs d'accès, sont les principaux bénéficiaires de la nouvelle législation. Certes, ils préféraient la première version de l'amendement qui les exonérait de toute responsabilité, tout en leur permettant de faire leur propre police sans base légale. Mais le résultat final leur est très favorable. Les fournisseurs d'accès sont dégagés de toute responsabilité. Les tentatives des Sociétés d'auteurs de leur imposer une responsabilité sur les dispositifs de protection des droits, inspirées par la législation américaine, ont été repoussées par le gouvernement et les députés, malgré un bon accueil des sénateurs. Quant aux hébergeurs, ils sont irresponsables a priori, et tenus seulement d'avoir une réaction adaptée ("procéder aux diligences appropriées" dans le jargon juridique) s'ils sont saisis par une personne concernée. Autrement dit, la loi se rapproche de très près de leurs pratiques; et elle conforte les jugements récents qui avaient relaxé Multimania, qui avait pris des "diligences normales", et condamné Yahoo, qui s'y refusait.
D'autre part, la loi, en écartant la surveillance a priori, prive de toute base légale les opérations de contrôle des sites menées par certains hébergeurs.

Conclusion: Liberté des internautes ou sécurité des opérateurs ?

La discussion sur l'amendement Bloche a été passablement confuse. Et l'essentiel de cette confusion, c'est qu'on a mélangé à tout propos les revendications des opérateurs techniques et les droits des internautes.
Or les opérateurs veulent plus de sécurité; ils ne veulent pas être tenus responsables des contenus. Mais les internautes veulent plus de liberté. Ils veulent voir reconnaître sur le plan légal les libertés qu'ils ont acquises sur l'internet, comme l'expression libre et l'anonymat. Ils ne veulent pas, a contrario, se voir imposer les contraintes propres aux autres médias, comme la déclaration préalable, ni voir leurs droits rognés à cause des "risques du numérique", comme ce pourrait être le cas pour la copie privée.
Valentin Lacambre, animateur d'altern, notre hébergeur, considère, d'après Florent Latrive, que les mesures provoqueront "un coup de Karcher sur l'Internet français: les gros pourront résister aux procédures juridiques, mais pas les petits indépendants". Cette remarque était très justifiée pour une obligation de surveillance a priori, qui non seulement aurait coûté cher aux hébergeurs, mais aurait surtout légalisé une police des hébergeurs sur le dos des internautes. Elle ne l'est plus avec une loi qui n'impose à l'hébergeur de réagir que s'il est au préalable informé. Il existe encore un risque que certains saisissent de manière abusive les hébergeurs, pour obtenir une censure, ou les menacer en cas de poursuite judiciaire. Mais les hébergeurs, dans l'ensemble, sont mieux protégés avec la loi.
Francis Linart (francis.linart@caramail.com)

Sources:
[http://www.liberation.fr] article de Florent Latrive du 19/06/2000

Clics officiels:
[http://www.assemblee-nationale.fr/2/2textes-a.html]
[http://www.patrickbloche.org/]



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