N°8
édition du 12 mai 2000 

bi-mensuel de l'internet
culturel et politique

3. Attention! syndication
La syndication de contenus n'est pas un concept nouveau. Il s'agit d'une pratique commune des entreprises de presse, puis des entreprises de l'audiovisuel, qui consiste à acheter "sur concept" un fil d'informations ou d'émissions prêts à être intégrés dans une publication, un programme. Les émissions de type "Vidéogags" qui fleurissent sur les antennes en sont l'exemple grand public le plus évident. Dans la presse, les premiers "syndicateurs" sont les agences de presse dont le premier service est bien de fournir des "fils" d'information, mais les bulletins météo sont aussi du contenu en syndication. L'une des controverses avec un fournisseur de revues de presse comme Net2one est que celui-ci "syndique" de fait un contenu - des journaux - sans que ceux-ci ne l'acceptent ni n'en tirent une rémunération. Ces nouveaux types "d'agrégateurs" doivent rechercher leur déontologie.

Le Web a donné à cette forme de commerce de contenus une actualité nouvelle. Plusieurs raisons à cela: d'abord la nécessité de construire des sites riches et mis à jour régulièrement avec des équipes réduites et sans moyens d'investigation particuliers. Ensuite, le développement du modèle économique du "gratuit" pour l'utilisateur-lecteur final impose une rémunération en amont, réalisée dans le commerce entre entreprises. Ainsi, d'une situation où il n'y avait que quelques fournisseurs de contenus pour de nombreux clients, on passe à celle où chaque publication peut être client et fournisseur, syndicateur et agrégateur.

La syndication pose de nombreuses questions qu'il faut se hâter de poser tout en ne précipitant pas les réponses à donner.

Le droit d'auteur: s'il est maintenant probable que la question de la rémunération des auteurs des articles se résoudra par la voie des contrats, même si cela fait et fera l'objet de luttes fortes, c'est ici le droit moral qui risque d'être mis à mal. En effet, tant que les contenus vendus sont des informations factuelles ou supposées telles: météo, cours de la bourse, état du trafic routier, etc., il en va tout autrement dès qu'il s'agit de commentaires ou d'articles de fonds. Comment s'appliqueront ou pourront s'appliquer les clauses de conscience des auteurs, refusant que leurs articles puissent se trouver dans tel ou tel type de publications?

La déontologie: la syndication de contenus appelle la syndication de marchandises... Imaginons un portail consacré aux chevaux, achetant des fils d'information consacrés au hippisme. Les auteurs des articles ne maîtriseront pas la contiguïté de leurs écrits avec tel ou tel dispositif de pari, telles ou telle proposition d'achat de selles ou d'éperons. Prenons un thème moins anodin et toutes les craintes sont alors possibles.

A un niveau supérieur, c'est bien la question de l'information qui est posée. Si tout contenu peut être vendu au kilo pour être mélangé avec tout autre contenu, qui maîtrise l'information? On peut même imaginer des mélangeurs automatiques et des lignes éditoriales robotisées... La valeur d'un article pourrait donc aussi être mesurée par sa capacité à entrer facilement dans le plus grand nombre possible de fils, favorisant ainsi la constitution d'une information édulcorée et sans couleur. C'est aujourd'hui déjà l'impression que donnent certains portails dégoulinant au robinet les mêmes dépêches non commentées.

Mais il ne faut pas se hâter. La syndication n'est pas le seul modèle en marche sur le marché des contenus. Le modèle d'associations de sites partageant une même complicité éditoriale, les webrings, peut être une alternative qui, associée aux modèles du "libre" change la donne. Et puis, dans un monde uniformisé d'une information trop resucée, la prime peut aussi aller à l'originalité et à l'insolence, sauf si celles-ci peuvent également être automatisées.
-- Pierre Bastogne --  (pierre.bastogne@caramail.com)

 

 



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